Avant-première ! INTENABLE présente Envier Les Vivants
Le groupe INTENABLE nous offre en avant première la diffusion du morceau « Une cravate ou une corde » à paraître sur leur futur album « Envier les vivants ». L’occasion pour Kévin (guitare/chant) de nous présenter ce morceau et de répondre à nos quelques questions
« Envier les vivants »
C’est le titre de cet album. Ce devait être celui d’une chanson, puis quelques jours avant la fin de la session d’enregistrement, il m’est apparu spontanément évident comme titre de l’album. D’une part pour sa forme, sa sonorité, son allitération et d’autre part pour sa cohérence avec toutes les chansons de l’album avec une raison propre à chacune. Dans ces 12 textes, les vivants sont tour à tour des êtres qui ont l’audace de défendre des idées ou des personnes quoi qu’il leur en coûte ; d’autres qui vivent sans se regarder vivre ; d’autres encore aux désirs annihilés qui décident, après un coup de joie ponctuel et partagé, de les refaire exister et de les revendiquer ; puis parfois juste des êtres vivants, sans allégorie. Si des personnes sont interpelées par ce disque, on espère qu’elles incarneront dans leur imaginaire ces « vivants » à leurs façons.
Les thèmes principaux tournent autour des mouvements sociaux inspirants de ces dernières années en France de Nuit Debout aux Gilets Jaunes, de violences sociales de toutes sortes, de mon rapport à la mort et à la maladie suite à la disparition récente de ma mère, d’addiction dans une chanson co-écrite et chantée avec Péno (The Traders) puis d’autres fantaisies et bêtises de passage.
Contrairement aux 2 albums précédents, Clem est passé à la guitare et notre ami Tibz a récupéré la basse. On voulait cet album puissant, porté par 2 grosses guitares avec des parties fournies qui s’entrelacent. Il part au pressage dans quelques jours, on dévoile doucement les chansons, c’est à la fois très excitant et en même temps on ne s’attend à rien. C’était tellement exaltant d’enregistrer ces 12 chansons ensemble qu’on ne sera pas vraiment déçus s’il ne plait pas. Ce serait juste un fabuleux bonus et ça nous permettrait de jouer autant que possible, de faire des rencontres, de faire les cons dans le camion de tournée, chances auxquelles on ne s’habitue pas.
On s’est bien entouré pour ce disque puisque Guillaume Doussaud (Swan Sound Studio) a fait les prises de son, Amaury Sauvé (The Apiary) le mixage et Thibault Chaumont (Deviant Lab) le mastering. On remercie avec force ces personnes nous ont impressionné par leur capacité à s’adapter aux imbéciles que nous sommes, à traduire nos indécisions, pour finalement arriver à un résultat qui est au-delà de nos espérances. Je profite de l’occasion pour remercier aussi Arya Przynieska (instagram.com/przynini) qui a fait tous les dessins présents sur les visuels, Delphine Tournier (Flowers and Bones), qui a superbement agencé tout ça, les labels Guerilla Asso et Fireflies Fall, la chorale qui a accepté de chanter sur quelques titres, notre complice Franck pour sa présence et son soutien infaillible et toutes les autres personnes qui ont apporté, parfois sans même le savoir, leur couleur à ce disque.
Une cravate ou une corde
Dans le monde du travail entre autres, quand elle vient d’en bas, la violence est toujours barbare, gratuite, cruelle : la soif du chaos pour le chaos, pas d’aspiration à un monde qui change, juste à un monde dévasté, sans cadre ni loi. Quand elle est exercée par le haut, elle n’est jamais citée en tant que telle, jamais nommée, toujours endimanchée de notions ingénieuses comme « Plan de sauvegarde », « structurer la croissance » et d’autres inepties. La première est visible, à découvert et fait souvent suite à des situations ou évènements insupportables quand la seconde, fourbe, se cache entre les murs, ne veut de mal à personne : c’est pas personnel, c’est vraiment pas contre toi. Le film En guerre (Stéphane Brizé, 2018), analyse bien les mécanismes et le jargon utilisés par la hiérarchie, la déconnexion entre les hauts cadres et les ouvriers en bas de l’échelle, notamment dans des périodes calamiteuses comme la fermeture d’une usine en province.
Le terme de « violence », est trompeur et ambigü. Arracher une chemise est-il plus violent qu’un avis d’expulsion ? Yannick Sansonetti, employé de Lidl qui s’est pendu dans son entrepôt, Rémy Louvradoux, technicien à France Telecom qui s’est immolé par le feu sur devant un site de l’entreprise, n’ont-ils subi aucune forme de violence pour en arriver là ?
Il est totalement aberrant de s’étonner de grèves passionnées, de mouvements de travailleurs.ses qui dégénèrent si on ne fait pas abstraction de la pression psychologique, financière et de l’humiliation qu’endurent un grand nombre de gens sur leur lieu de travail.
C’est le sujet de ce texte.
— Kévin
INTERVIEW
Les années ont logiquement participé à faire évoluer vos sonorités. Quels sont selon toi les autres axes principaux qui détachent « Envier les vivants » de vos précédents projets ?
Musicalement, cet album est dans la continuité de ce qu’on a toujours fait. On continue à jouer du punk rock mélodique en tentant des choses qui ne nous sont pas familières. On aime la simplicité inhérente au punk rock, ce qui le rend si abordable, mais on essaye aussi de ne pas se brider, d’aller au-delà de ce qu’on sait faire. Parfois ça fonctionne, parfois on est ridicules, tant pis, on reste conscients qu’on fait aussi ça pour se marrer et s’enthousiasmer.
Au niveau des textes, Envier les vivants est clairement un album qui sort de l’introspection des 2 précédents albums. Il est davantage axé vers le social au sens large, vers « les autres », alors que nos 2 premiers albums ressemblaient plus à un journal intime ! C’est ce que m’ont inspiré les musiques, mon état d’esprit du moment, cette époque, mes références de ces dernières années. Je suis sensible aux histoires donc j’ai souvent essayé de poser un socle narratif aux sujets choisis. Je ne sais pas si ça rend bien mais la plupart du temps, mes propositions sont validées par les autres membres du groupe. C’est déjà pas mal !
La mise en commun du titre de l’album avec les paroles de la chanson ici mise en avant m’interpelle particulièrement. Les références à la mort s’y trouvent à plusieurs reprises et nous mettent face à quelques vérités qui personnellement auraient tendance à m’écarter de la possibilité d’ « envier les vivants » : « Une cravate ou une corde, devra-t-on faire un choix ? Quelle sera la meilleure laisse pour nos cols froids ? »
Je peux partir des symboles de la cravate et de la corde. On peut jeter l’anathème sur une personne qui décide de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail, l’accuser de lâcheté, il n’en reste pas moins que cet acte est une reprise absolue du contrôle sur son corps et sur sa « vie » et n’est pas dépourvu de sens et de pertinence. En revanche, pour reprendre l’exemple du film En guerre, un directeur d’usine qui promet à des ouvriers la survie de leur site contre des efforts et des heures non payées alors qu’il sait la fermeture inéluctable est pour moi un être déjà mort à l’intérieur. Il abonde dans un sens pour protéger sa petite place, collabore, son statut et son salaire le persuadant de sa légitimité et de son libre arbitre. Je ne dis pas que le suicide soit louable mais dans un sens je le trouve bien plus « vivant » que les trahisons inhérentes au milieu du travail, notamment dans les grandes entreprises. Je parle aussi des tentatives de reprise de contrôle parfois maladroites, guidées par l’exaspération et la fureur. Je les comprends et ne peux m’empêcher de voir aussi un beau sursaut de vie, naturel et juste, devant des encostardés arrogants qui se font malmener par un groupe de personnes qu’ils pensaient suffisamment dociles pour tout accepter.
Vers quel côté as-tu essayé le plus de te pencher durant le processus d’écriture et quel était ton état d’esprit face à ces deux thèmes qui ne peuvent s’éloigner de la philosophie ?
Je suis clairement de l’école Damasio, galvanisé par ce qui respire le vivant, sensible aux gens qui désirent fort, parfois mal, qui ne contrôlent pas tout, qui évoluent au contact des autres, qui pensent constamment contre eux-mêmes. Je trouve l’inverse mortifère et même si certaines chansons de cet album paraîtront tristes, elles ne sont jamais pessimistes ou empruntes de désolation.
Peux-tu nous renseigner un peu plus sur l’artwork choisi : Comment en êtes-vous arrivés à vous mettre d’accord sur l’idée, quels parallèles pouvons-nous y trouver avec l’univers décrit dans l’album ? Il me semble que la pochette a été réalisée en un seul trait…
C’est Arya Przynieska (instagram.com/przynini) qui a fait tous les dessins qui seront présents sur les visuels de l’album. On a d’abord aimé son style et ce choix de contrainte qui consiste à faire des dessins sans jamais lever le stylo. Le rendu a toujours quelque chose de légèrement torturé et brouillon qui nous plaisait à la base. C’est lors d’une rencontre qu’elle nous a montré un de ses dessins, assez proche de celui qui se trouve sur notre jaquette aujourd’hui. Ça a pris environ 10 secondes à Clem et moi pour savoir que c’était un dessin de ce genre qu’on voulait. Au final il nous plait énormément et on y trouve une cohérence forte avec l’album pour toutes les qualifications évoquées dans la question précédente : une forme de colère, de désir qui prend le pas, de maladresse, de traits enfantins, de tout ce qui nous séduit chez les vivants.
Propos recueillis par Arno