Interview – SPORT
Cet article devait initialement paraître sur le Fanzine Nice Guys Finish Last. Etant donné que cette édition ne paraîtra plus, l’auteur Arno nous a gentillement proposé de publier son article sur hiwwat et nous lui en remercions.
Tout d’abord, quels sont les différents facteurs qui vous ont amené à prendre la décision de mettre fin à votre aventure avec SPORT ?
Salut. Cela fait un bout de temps que l’on y pensait. La raison principale est surement que Nak (basse et voix) est parti vivre en Allemagne il y a plus de 5 ans. On avait réussi à finir Bon Voyage et à enregistrer Slow malgré la distance. Autant Bon Voyage, c’était du matériel brut, dans le sens où ça avait été bossé en local de répète et il n’y avait plus que les voix à finir (Charlotte Cooper parle de son déménagement) autant Slow a été moins spontané puisqu’on ne vivait plus tous à Lyon. Donc depuis Slow on ne sa voyait plus que pour les tournées et on n’arrivait pas à écrire de nouveaux morceaux.
On n’avait pas trop l’envie non plus car « combattre » la distance demande beaucoup d’énergie. On a gardé celle-ci pour organiser les tournées, qui étaient déjà compliquées à gérer au niveau logistique. Tu vois, j’aime bien le format du groupe qui bosse, qui répète régulièrement, qui fait des plans, qui écrit des morceaux (avec les riffs qui sortent de nulle part en répète), qui discute (pas sur internet). Au final, quand tu n’écris plus, tu vis sur le nom du groupe, tu profites des plans de fous qu’on te propose puis tu te dis que « bon, on va peut-être passer à autre chose » car t’as l’impression de te mentir à toi même.
C’est aussi une décision qui permet de rompre franchement. C’est dit, c’est acté. Je crois aussi qu’on a commencé à réaliser qu’on avait fait un truc en 2012 avec Colors d’une fraîcheur qu’on n’arriverait sûrement pas a retrouver et on a peut être finalement jamais osé s’attaquer à un nouvel album depuis qu’on a pris du recul. On a pas mal entendu « ah ouais, jouez Colors, ah ouais Colors » et tu commences à te demander si t’appartiens pas à une époque, voire au passé. On a fait la décennie, c’est pas mal.
Tu vois, j’aime bien le format du groupe qui bosse, qui répète régulièrement, qui fait des plans, qui écrit des morceaux (avec les riffs qui sortent de nulle part en répète), qui discute (pas sur internet).
Il me semble qu’une séparation temporaire avait déjà eu lieu il y a un certain temps, peut-on imaginer une éventuelle reformation dans les années à venir ou c’est une idée qu’il faut définitivement effacer de nos tête ?
On avait déjà dû dire 10 fois qu’on arrêtait. Ca devenait plus ou moins une blague. Là, je ne peux pas te dire qu’on rejouera ensemble. Ni qu’on ne rejouera pas d’ailleurs. Occasion spéciales, dans quelques années, qui sait… Car les liens entre nous ne sont pas du tout détruits pas cette aventure. On a du temps avant d’en reparler… Pour l’instant ça laisse aussi de la place à nos autres projets.
Vous avez fait énormément de route, avec beaucoup de tournées, notamment au Japon et aux Etats-Unis et il est évident que ces opportunités constituent de réelles aventures humaines. Peux-tu nous citer quelques « leçon de vie », si on peut appeler ça comme ça, tirées de votre expérience ?
Vivre avec les autres (gestion des envies, de la promiscuité, de la fatigue). Savoir fermer sa gueule ou au contraire l’ouvrir pour vivre avec les autres. Rester compact (ne pas s’éparpiller, essentiel quand tu dors à 4 dans un petit endroit). Savoir apprécier et profiter de ce que t’as sur le moment présent. En fait, des trucs que tu trouves dans tous les bouquins où on te dit comment mieux vivre mais en fait, t’as pas acheté le bouquin et t’as vécu et c’est pas mal.
Difficile de ne pas poser la question meilleur/pire souvenir de concert dans une interview tellement les réponses sont souvent excellentes, d’autant que plus l’histoire du groupe touche à sa fin… Peux-tu nous raconter l’anecdote la plus folle, la plus incongrue qui vous est arrivée sur la route ?
Franchement, je dois être le pire pour raconter ces anecdotes car j’ai trop banalisé nos aventures. C’est con parce que je suis prof d’histoire et j’aime bien raconter des anecdotes en classe, mais ça touche l’histoire, pas ma vie. On a jamais eu de grosses galères, un ou deux légers accidents qui nous ont jamais fait rater un concert, pas de galères mécaniques. Aller, outre les concerts dans les lieux géniaux (jouer à Okinawa, île japonaise du Pacifique. Un lundi soir. Un de nos meilleurs concerts), je m’en vais faire deux :
- Après un concert à Paris, on décide de rentrer à Lyon mais au bout d’une heure, on n’en peut plus. On est HS. On s’arrête dans un formule 1. Il est tard. Personne à la réception. Nico avance dans un couloir. Il pousse la première porte. Elle s’ouvre. On rentre et on dort tous dans la même pièce. On se dit qu’on partira par la fenêtre le lendemain. Le lendemain, on prend nos douches et Nico pousse le vice à se prendre un petit déj. Il m’appelle, je vais chercher ma bagnole et on l’embarque à peine le plateau fini. Mais on est grillés et la réceptionniste nous court après. Je suis en seconde, peinard, sur 10 mètres. Je regarde mon rétro. Elle court. Nico a peur que le portail du parking du F1 sur lequel je roule trop modestement, bloqué sur mon rétro, se referme sur nous. Je passe la 3ème, et elle nous crie « reveneeeez, bande de salauds ». Je tourne le coin et elle disparaît. On est une bande de salauds depuis ce jour. Ca devait être il y a 6 ans, peut-être après le concert avec Mermonte. Mai 2013. A vérifier. En tout cas, pour une fois ce ne sont pas des Babybels que l’on volait.
- Des fois, je dis que j’ai joué à Lima au Pérou. C’est vrai, mais la vérité est bizarre. On a raté notre correspondance à Frankfurt et on a galéré pour avoir un autre vol. On s’en est sortis mais on arrive à Lima à 18h et non plus à 6h du matin. Au revoir la journée de tourisme. Arrivés à Lima on fait 2 heures dans les embouteillages, on arrive à la salle. On sort 20 minutes de la salle pour manger un truc. On joue à 1h du matin, on est complètement cramés. On se fait mitrailler par les appareils photos après le concert, on boit des canons, on se couche, il doit être 4h du mat. On aurait été à Limoges que ça aurait été pareil. On dort 3 heures pour repartir à l’aéroport chopper notre vol pour Santiago. En gros, on a rien vu de Lima. C’est quand même con. Alors que le bilan carbone lui…
Quant aux pires concerts, il y en a eu mais j’ai du mal à m’en rappeler, j’ai plutôt réussi à garder le meilleur.
Je passe la 3ème, et elle nous crie « reveneeeez, bande de salauds ». Je tourne le coin et elle disparaît. On est une bande de salauds depuis ce jour.
La politique prend énormément de place dans les musiques alternatives, l’activisme, et le DIY en général. Avez-vous été impliqué dans certains mouvements sociaux, politiques, ou à différentes actions d’opposition à votre insu ou non avec SPORT ?
On a jamais fait de politique sur scène. Ni dans nos paroles. On a pas été activistes. Notre approche politique, c’est uniquement située sur la façon de fonctionner. Qu’on a jamais abandonnée. Faire tout nous-même. Nos tendances politiques ne sont pas les mêmes et il aurait été pompeux et malhonnête de parler d’une seule voix si l’on était pas du même avis. Nak a voté Macron en 2017. Tu vois pourquoi on a arrêté.
Après toutes ces années de concerts, à vivre en tant qu’acteurs dans les les milieux culturels, quelles idées/façons de voir les choses imbriquées dans ce petit monde ont évolué au fil du temps, et celles qui au contraire on stagné et qui mériteraient une grande remise en question ?
On a effectivement pas mal changé. C’est marrant, je suis arrivé dans le collège dans lequel je bosse avec mes petites valeurs que j’ai développé au contact de la scène hardcore/punk pendant toutes ces années (et avant SPORT) et je les ai confrontées au monde réel. Je suis dans un bahut de REP avec majoritairement des minorités – immigration du Maghreb, Afrique Subsaharienne, français ou non – qui subissent le racisme. Et parmi ces jeunes, il y a de l’homophobie, du sexisme, du harcèlement, de la violence. Pas tous hein, mais c’est un paquet de gamins qui viennent d’horizons différents, que ce soit culturel ou social. Et là, ça te renvoie à « ta » communautés (et ses privilèges). Dans cette communauté punk pétrie de pleins de bonnes intentions, tu peux finir par tourner en rond.
Beaucoup de gens pensent pareil. Trop de bons sentiments et parfois, ça sonne un peu faux voire mielleux. Vide. Parfois même fascisant. Il y a la critique de la religion qui me dépasse dans la scène. « Putain regarde tous ces cons qui pensent que Dieu existe ». Le truc c’est que la religion est un système de pensée. Le DIY est bien calqué là-dessus. On pourrait presque écrire un livre sur les codes adoptés dans la scène. Et le 7ème jour, on leur dit de se faire un tattoo Black Flag. Je m’égare. Je suis athée et j’adore Black Flag. Henry Rollins est tellement agréable à écouter aujourd’hui.
Bref, si tu veux vraiment appliquer les principes de la scène alors tu dois te nourrir aussi à l’extérieur de celle-ci et des remarques des autres pour t’offrir d’autres perspectives.
La démocratie c’est discuter avec des avis différents. Je prends beaucoup de plaisir à discuter avec les jeunes de leur homophobie ou du machisme de certains mecs qui jouent les coqs. Et je ne peux pas leur coller une étiquette. Parce que j’ai vu des gens qui peuvent pas discuter avec toi dès que tu sors de la pensée traditionnelle. C’est le rigorisme. Je pense que la scène est extrêmement enrichissante mais c’est aussi insuffisant comme expérience sociale pour toi, en tant quêtre qui évolue. Et tu peux accepter le changement. Je dis pas qu’il faut voter Macron demain (ni voter d’ailleurs), faut pas déconner non plus. Par exemple, je me disais « putain mais je ne peux pas dire que j’aime Céline. Ca va mal passer cette histoire. » Alors que j’ai changé et je l’accepte. Par contre, j’essaye de comprendre pourquoi ça passe pas avec Cantat. Il y a des chansons de Noir Désir que j’aime bien mais on est pas sur le même registre que Céline. Pourtant les deux sont aussi graves. Je me dis juste « bon je vais essayer de comprendre la pensée de celle-ci ou de celui-là. » Qui n’est pas celle de la pensée dominante par exemple. Et dans une communauté, t’as une pensée dominante, toujours. Après si je me fais traiter de facho parce que regarde une vidéo de Zemmour, qu’est-ce que tu veux que je te dise.
Bref, si tu veux vraiment appliquer les principes de la scène alors tu dois te nourrir aussi à l’extérieur de celle-ci et des remarques des autres pour t’offrir d’autres perspectives. C’est une question super intéressante, mais c’est plus qu’une question, c’est une discussion. D’ailleurs, j’ai pas parlé de musique mais j’ai découvert que des groupes punk faisaient des stratégies commerciales (étude des stats, paiements pour booster une publication) sur Facebook et tout pour leur musique et là, je me dis, « merde… Je vais te dire un truc, c’est comme partout : dans le punk, y’a à boire et à manger. » Tu l’aimes ma phrase d’ancien ?
De manière beaucoup plus concrète, je voudrais exprimer, car on me le permet, mon admiration pour toutes et tous qui sont investis dans les lieux alternatifs. Ca fait 10 ans que je rencontre des gens passionnés dans les endroits où on joue et ça, c’est formidable. Cette passion, elle ne change pas.
Pour parler du côté musical, pouvant maintenant juger vos albums avec un certain recul, quel est votre album le plus abouti selon toi, et quels éléments constituent sa force et sa particularité ?
Pas facile parce que faudrait définir les critères d’aboutissement ensemble. En immédiateté, c’est Colors. Niveau travail de guitariste et de recherche, c’est Slow. On s’est jamais fait chier à aller enregistrer super loin. On a fait les voix dans notre local la plupart du temps. On a cherché autre chose pour composer Slow et ça, c’était agréable (malgré la distance comme quoi…).
J’ai fait les disques avec le même gratte et le même ampli donc je peux même pas te déballer le jargon…
Slow est particulier car enregistré avec Clem, qui venait juste de rentrer dans le groupe, et j’avais dû faire 5 ou 6 répètes avec lui et que j’avais beaucoup bossé avec Cubase pour mes grattes. Pas si mal au final, ça a dû me faire progresser un peu même si je sais toujours pas lire la musique (comme un musicien, je veux dire). J’ai fait les disques avec le même gratte et le même ampli donc je peux même pas te déballer le jargon…
Pour rester un petit peu dans le thème, la reformation rêvée d’un groupe qui a splitté ?
Sonic Youth que j’aurai pu voir y’a 10 ans. j’ai déjà pense à ça et j’avais pleins de noms mais là, je sais pas. Karaté tiens. Encore et toujours Weakerthans. Je dirais pas non à Sixpack et Second Rate en France pour la madeleine. J’ai adoré rejouer avec Baton Rouge, quel groupe génial. Je verrais bien At The Drive In qui ont déjà fait le coup de la reformation. Sinon, je regardais deux disques sur Discogs hier : un State of Alert (No Policy EP) et Youth Brigade (Possible EP). Ils sont trop trop reuchs, c’est pas possible… Si ces groupes se reforment, ils seraient peut-être réédités, non ?
– Florian, Sport