Vulgaires Machins – Disruption

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Il y a des sorties qui se font très attendre, elles nous impatientent, nous interrogent quant à leurs possibles parutions. Elles nous font peur, nous nous demandons si l’effort sera aussi bon que les précédents… Et un beau jour, la sortie arrive enfin ! Pour Vulgaires Machins, la longue attente ne fut pas vaine. Tout comme ses prédécesseurs, Disruption se révèle être un excellent album, le genre de production dont notre quatuor québécois a le secret. 

Pour celleux qui ne connaissent pas ce groupe mythique du Punk rock francophone, une petite présentation s’impose. Les Vulgaires Machins sont un groupe né en 1990, un premier album auto-produit, « La vie est belle », sort en 1996, suivi en 1998 par « 24:40 » qui fut leur premier album studio. En 2000, un troisième skeud voit le jour, « Regarde le monde », cet effort sera le début des textes très critiques que le groupe nous offrira à chaque sortie. « Aimer le mal » sort en 2002, une belle montée en puissance et une identité musicale bien définie ressort de cette prod. Ils sortiront un split en 2004 avec Burning Heads, puis 2006 marque la sortie de l’excellent « Compter les corps », un de leurs meilleurs albums. Quatre ans plus tard, « Requiem pour les sourds » arrive jusqu’à nos oreilles. Toujours aussi efficace, un poil moins punk rock mais toujours avec une évolution propre à leur style. En 2011 le groupe nous propose un EP acoustique reprenant quelques-unes de leurs meilleures chansons et quelques nouveautés dans un genre plus posé faisant son effet. Puis une pause entre 2012 et 2016. Cette année-là les VM se reforment, avec un petit changement de line up, le temps de faire quelques concerts. Puis en 2022, le tant attendu « Disruption » fait son apparition. 

Ce nouvel effort, « Disruption », signifiant: une rupture, une brisure, une cassure, colle parfaitement avec les constats dressés tout au long de l’album. Il marque aussi une certaine rupture dans la façon d’aborder les thèmes, bien moins piquants, moins contestataires. Le groupe ne pointe plus du doigt les problèmes et leurs sources mais nous propose des réflexions autour des problématiques de nos sociétés et de notre monde. Cela se ressent également dans les instrus, moins punk rock comparé aux albums précédents mais dans la continuité logique de « Requiem pour les sourds ».

« Vivre », titre ouvrant cette production, nous le fait comprendre. Le morceau, posé, peut être un peu troublant à la première écoute, mais le texte et la voix de Marie-Éve nous font sentir l’empreinte des Vulgaires. Une réflexion douce-amère sur comment faire face à tous ces maux si nous ne faisons pas face à nos propres questionnements et douleurs. « Envahie par les inquiétudes Perdre le fil de mes engagements Face à l’état d’incertitude… ».
Vient ensuite le titre « Liberté », beaucoup plus incisif, ce morceau est adressé aux anti-vax et pseudo-rebel.les aperçu.es pendant la période de pandémie mondiale. On y retrouve l’énergie et la critique des morceaux « La chasse est ouverte » et « Anéantir le Dogme ». Un morceau écrit par Guillaume et ça se sent. 

Puis le second extrait sorti avant la parution de l’album, « Asile ». Une constatation anxieuse teintée d’espoir, faisant écho à l’origine du nom de cette prod: « Dans la disruption, comment ne pas devenir fou ? » du philosophe Bernard Stiegler.
« OK » apporte une touche d’espoir. Malgré tout ce qui se passe, il ne faut pas lâcher prise et sortir de ce jeu aliénant: « Plus rien ne fait de sens Je sens un vide immense… » mais « Je crois que j’aimerais mieux tout perdre même si il faut tomber de plus haut ». Je trouve que c’est une belle façon d’illustrer comment le cheminement et la prise de conscience peuvent se faire même si les contraintes sont très invasives. 

S’ensuit « Obsolète », ce morceau raconte comment il est difficile de maintenir un cap dans cette société du divertissement, des idéologies nauséabondes et du consumérisme.
« Entre le deuil et le blâme » parle de cette vision très occidentale où l’on glorifie nos « Grandes Nations » en prenant soin de taire les abominations engendrées par le colonialisme, comment nos pays écrasent, une fois de plus, les minorités en invisibilisant leurs douleurs et leurs histoires. 

« Imbéciles » dresse un portrait de Trump et de ses adorateurs et adoratrices. Des personnes dans le négationnisme et le confusionnisme total. 

Le morceau suivant, « Jusqu’à l’aurore », évoque la désillusion, qui est une notion très marquée tout au long de l’album. Se sentir tellement étouffé.e par tout ce qui ne va pas, vouloir lâcher prise et se détacher de toute cette lourdeur.

« Moi » est une pensée individuelle. Sombrer dans le défaitisme en partageant se mal-être sur les réseaux sociaux. 

« Indicible » marque une pause et se concentre à décrire les ambiances et émotions ressenties lors des concerts. 

« Je lève mon verre », premier extrait partagé par le groupe, est un hymne à celles et ceux victimes de nos sociétés et systèmes. Une douce façon de clôturer un album émotionnellement chargé. Avec cette phrase venant fermer cette marche: « Je lève mon verre à la santé de l’amour ». Et c’est bien ce qu’il y a de plus important dans toute cette noirceur, amertume et douleur. L’amour et l’espoir qu’il nous procure, qu’il nous reste. 

Cet album se démarque par un nouveau regard sur le monde, sur soi. Des morceaux plus posés, l’alternance des chansons écrites par Guillaume et Marie-Éve amène un doux contraste, deux façons de s’exprimer complémentaires. Une évolution qui fait sens pour ce groupe aux textes pertinents et plein de bon sens. De l’espoir dans la désillusion, un soleil sous l’averse.

— Rezki